Aujourd'hui, je ne suis pas à l'entraînement, ni au laboratoire. Je passe la journée avec Njáll. Il encaisse beaucoup de stress depuis notre réveil, et je pense qu'il a besoin de se changer les idées, et de reprendre confiance en lui. Pour cela, lui apprendre un sport de combat me parait une bonne idée. Rien de trop violent, mais quelque chose qui nécessite de la technique et de la maîtrise, qu'il puisse acquérir. Pour qu'il se focalise sur ses progrès, plutôt que sur le danger permanent, tout en ayant l'impression d'être moins vulnérable. Évidemment, il est hors de question qu'il affronte quoi que ce soit, mais cela lui donnera peut-être un peu plus d'optimisme.

Je l'emmène donc au centre de Loisirs, pour qu'il trouve son bonheur. Il n'est pas très enthousiaste, et nous passons un peu de temps à jouer ensemble en RA, pour qu'il se déride. Et c'est au sortir d'une session de Fighters of the street XXVI qu'il m'annonce soudain, les yeux brillants, qu'il veut apprendre à se battre à l'épée. Je pensais plutôt à un sport de contact, mais si il veut l'épée, ça me convient aussi.

Nous voici donc partis vers la partie salle de sport. Au moment où nous entrons, deux personnes sont déjà en train de s'affronter, et nous restons un moment à simplement les regarder. Njáll a les yeux brillants, ce qu'il voit l'enthousiasme beaucoup. Aussi, dès qu'ils se séparent, je l'entraine vers le plus proche, qui porte une prothèse au bras droit. Il a l'air jeune, il aura peut-être un peu de temps à nous accorder.

"Salut, excusez-nous, on peut vous déranger quelques minutes ?"

Le gamin est sociable, il nous invite à le rejoindre sans paraître contrarié. Comme tout le monde, il a les yeux qui trainent sur moi, mais il arrive à ne pas être gênant ou insistant, en se détournant sur son épée. Je m'aperçois que celle-ci est fixée à sa prothèse plutôt que tenue, ce qui me fait sourire, je pense aux lames de mon armure. Njáll semble emballé par l'arme, je le sens bouillir sous la main que je maintiens sur son épaule.

"Merci. Mon fils aimerait apprendre à manier l'épée, est-ce que vous pourriez nous dire si il y a quelqu'un ici capable de lui apprendre ?"

J'ai fait attention à parler de manier l'arme et non de se battre avec. Je fais la différence, et il est important que mon fils la fasse aussi. De même qu'un éventuel instructeur. Je suis incapable de lui enseigner l'usage de ce genre d'arme, j'ai déjà du mal à me servir correctement des miennes, inutile qu'il pâtisse de mon inexpérience. Et voir d'autres personnes est bénéfique, si je peux lui épargner mon embarras social, c'est encore mieux. Lui, il n'a d'yeux que pour l'arme, et il tend la main vers celle-ci, mais je le retiens.

"Hé, tu demandes avant de toucher ! Désolée..."

Le dernier mot, c'est pour le jeune homme, avec une grimace d'excuse.

J'incline la tête en souriant devant le choix des mots employés. Je ne sais pas si c'est volontaire mais si c'est le cas cela me paraît judicieux. Dans le doute, je préfère donner mon avis tout de même :

Tant qu'il apprend à la manier avant d'essayer de s'en servir et risquer de se blesser ou blesser quelqu'un, je peux peut-être vous aider. Je ne suis pas un maître dans cet art mais je pense pouvoir lui expliquer les bases. J'ai commencé à peu près à son âge...

Je ne finis pas ma phrase et lève la main pour intercepter celle du gamin et l'empêcher de toucher la lame. Sa mère est plus rapide que moi et je soupire de soulagement intérieurement.

Pas de problème madame. M'adressant ensuite au garçon, j'ajoute sans méchanceté ou agacement : Il ne faut pas mettre la main sur une lame sans précaution et sans l'autorisation de son propriétaire. Même si celle ci est simple et sans atout particulier, tu ne sais pas au premier regard ce qu'il peut en être.

Mon ton est doux mais ferme pour bien lui faire comprendre le danger potentiel d'une arme comme celle ci. Je range la lame dans son fourreau et le dépose sous le banc avant de montrer les shinais rangés à côté du tatami de la main.

Avant d'envisager de toucher une véritable lame, voyons comment tu prends celle ci, en imaginant qu'elle a la même forme que la mienne, tu veux bien ?

Je regarde sa mère en lui demandant la confirmation de l'autorisation d'accéder à ma demande. Je me rends compte, brusquement, que je ne me suis même pas présenté.

Pardonnez mon impolitesse, je ne me suis pas présenté. Je m'appelle Rich, Rich Furga.

Le gamin a l'air d'avoir compris ma façon de voir les choses, et d'être en accord avec, ça facilite déjà le contact. Surtout qu'il se propose comme professeur, spontanément. Avant que Njáll ne fasse preuve d'une trop grande curiosité, évidemment. Mais ça n'a pas l'air de le refroidir, il en profite juste pour essayer de faire comprendre à mon fils que ce qu'il fait peut être dangereux, et j'en rajoute une couche.

"Je t'ai montré avec mon armure, rappelle-toi. On ne sait jamais ce qu'on peut déclencher sans le savoir."

Heureusement, dans mon cas, je peux laisser mon noyau trainait dans l'appartement sans craindre que le gamin se blesse en jouant avec. L'avantage de la neuro-compatibilité. J'apprécie que le jeune homme range soigneusement sa lame, loin des mains trop curieuses, sans le laisser y toucher. Il le dirige plutôt vers les armes d'entraînement. Njáll guette ma réaction, il n'est pas très à l'aise avec les inconnus, et je lui fais signe d'y aller. Je ne vais surement pas lui montrer comment s'y prendre, d'autant que je serai capable de me tromper. L'avantage de mes armes, c'est qu'elles sont incluses dans l'armure, et déjà fixées.

Njáll s'approche à pas prudents, inquiet maintenant qu'il se sent surveillé et évalué. Mais il finit par tendre la main, et refermer ses doigts sur le manche, qui me parait énorme en comparaison de mon fils, si fragile à mes yeux. Mais il est hors de question que je le lui laisse voir, ce serait trop destructeur pour lui. Alors je le laisse soulever maladroitement l'arme, et prendre une pose qu'il espère martiale, même si elle est surtout inspirée des jeux vidéos. Pendant ce temps, je réponds à la présentation du dénommé Rich Furga, en lui tendant la main.

"Svana Vigdís, enchantée. Et lui, c'est Njáll. Merci pour votre aide."

Je m'écarte légèrement, pour regarder mon fils. Et je ne cherche pas à cacher l'amour que j'ai pour lui, et qui doit se lire sur mon visage.

Aux paroles de la femme, je comprends qu'elle fait partie de ces détenteurs d'écaille. Autant dire que la prudence est un sujet qu'elle doit connaître, même si pour les activer il faut certaines dispositions neuronales d'après ce que j'en ai compris. Je n'ai donc pas besoin d'en rajouter une couche de plus puisque la mère du gamin le fait, sans m'en vouloir pour lui avoir fait la morale. L'enfant semble brusquement timide lorsque je lui désigne les shinais et regarde sa mère pour voir sa réaction. Sans quitter le gamin des yeux, je souris en le voyant faire. Je me remets debout et serre la main de Svana tandis qu'elle les présente tous les deux.

Enchanté Svana. Je vous en prie, c'est naturel.

Je peux voir à quel point Svana aime son fils rien qu'en voyant son expression. Je souris à nouveau et reporte mon attention sur Njáll, je le regarde prendre l'arme et secoue doucement la tête, amusé.

Il y a de l'idée mon grand mais ce n'est pas vraiment comme ça. Je vais te montrer.

J'invite sa mère à venir se joindre à nous si elle le souhaite et vais chercher une arme de bambou moi aussi. Je la prends de la main gauche et me place entre eux. Je me mets en position pour montrer la manière de le tenir et de se placer avant de regarder comment ils se débrouillent tous les deux. Svana se positionnne approximativement correctement et je n'ai pas vraiment besoin de rectifer grand chose sur son maintien. Son fils semble avoir aussi compris. Je me mets face à eux et incline la tête, repositionnant juste un peu les pieds correctement pour la stabilité de Njáll.

Il s'en suit une petite heure durant laquelle je leur montre quelques katas basiques avec le shinai, leur expliquant tel ou tel positionnement lorsque c'est nécessaire. Lorsque l'heure est écoulée, je donne le signal de fin.

Pour une première fois, c'est pas mal du tout. Pas trop fatigués ?

Je sors de mon sac une autre gourde pas encore commencée et leur tend en attrapant celle que j'ai entamé plus tôt.

J'hésite un peu à me joindre à la leçon, je n'ai pas envie de montrer que je ne suis pas une parfaite guerrière à mon fils et à un inconnu. Surtout alors qu'à leurs yeux, je représente le principal rempart entre eux et les monstres de la planète. Si je n'ai pas l'air de savoir ce que je fais, ça risque surtout de les angoisser, en particulier Njáll, et ce n'est pas le but. Mais en même temps, ça me tente beaucoup de partager ça avec lui. Et après tout...

"Je vous préviens, je ne me bats pas à l'épée en général !"

Comme ça, ils sont avertis, le combat à l'épée n'est pas représentatif de ce que je fais avec mon armure. Pas que je sois une super guerrière, mais je vais éviter de le préciser.

Le gamin est plutôt bon prof, il est clair et patient, et j'arrive assez facilement à piger ce qu'il attend de nous. Mon fils aussi, apparemment. Il nous montre des postures et des mouvements pendant un bon moment, avant de décréter la fin de la leçon. J'ai encore la forme, il est moins exigeant que le commandant Dupuy, mais Njáll commence à accuser la fatigue je trouve, et je lui tends d'abord la gourde offerte par Rich.

"Merci beaucoup ! Ça t'a plu ?"

Ma question s'adresse à mon fils, qui hoche la tête, les yeux brillants et un grand sourire aux lèvres.

"Dites, est-ce que j'abuse si je vous demande un truc ? Est-ce que vous donneriez d'autres cours à Njáll ? Je ne peux pas exactement vous payer, mais si vous voulez quelque chose en échange..."

Je ne finis pas ma phrase, pour lui laisser la liberté de me dire ce qu'il voudrait, et aussi pour me laisser la place de refuser. Je pense que mon fils aimerait beaucoup recommencer.

Je ne juge jamais les gens sur leur connaissance et leur capacité. Mon père m'a bien souvent expliqué qu'il était un des seuls de son unité à connaître le combat à l'épée, les autres ayant d'autres compétences dans d'autres domaines que lui même ne maîtrise absolument pas ou très peu. Même si les techniques de combat que Svana utilise sont différentes, elle n'en reste pas moins une personne endurante et la fluidité de ses mouvements par moment trahie une connaissance  certaine dans le combat quel qu'il soit. Je souris une nouvelle fois en la voyant donner la gourde à son fils et la réaction du gamin à sa question.

Il n'y a pas de quoi, c'est avec plaisir. Content que ça vous ait plu.

Ma dernière phrase s'adresse aussi bien à Svana qu'à  Njáll. Je repose ma gourde après avoir bu quelques gorgées et regarde la jeune femme, curieux de savoir ce qu'elle voudrait me demander. Je suis à la fois gêné et flatté de sa demande et secoue la tête en souriant toujours. Oui, je sais je ne fais que ça, c'est le second effet kiss kool de la pratique de l'épée chez moi... Je lève la main en secouant la tête tout en disant :

Je vous arrête tout de suite.  Je ne demande rien en échange de leçons à  Njáll. Ce sera avec plaisir que je lui en donnerai. Désignant le garçon de la main, j'ajoute pour m'expliquer : Ca, ce sourire sur son visage, ça s'appelle de la passion, et ça me suffit pour tout paiement.

Je me permets d'ébouriffer les cheveux du garçon en souriant. J'ai vraiment l'impression de me revoir à son âge lors de mes premiers pas dans cette discipline. J'ajoute ensuite en la regardant, lui proposant ainsi une activité en compagnie de son fils si elle en a le temps et la possibilité vu son statut :

Bien entendu, ça vaut pour vous aussi si ça vous intéresse et que vous le pouvez.

Mon fils a une exclamation de joie lorsque Rich accepte de lui servir de professeur, prouvant que j'ai vu juste concernant son envie de recommencer tout en me dispensant de répondre. Je ris brièvement, avant de mettre en mots ce que Njáll vient d'exprimer.

"Alors je crois que vous venez de trouver un élève !"

Lorsqu'il me propose de me joindre aux leçons, j'hésite. Mon fils est encore jeune, mais viendra rapidement le temps où il désirera davantage d'indépendance, et ces leçons pourraient lui offrir un espace d'autonomie sécurisé. Mais pour le moment, il semble vouloir passer du temps avec moi, et Jonas m'a dit qu'il était pareil avec lui. Seulement, je sais déjà que je ne pourrais pas toujours être présente. Il faut que Njáll en soit conscient.

"Je suis pas mal occupée, comme Guerrière et comme scientifique. Mais lorsque j'aurai un moment de libre, pourquoi pas ?"

J'ajoute une phrase en islandais pour mon fils, en riant.

"Tu vas vite devenir plus fort que moi si tu t'entraîne souvent, il faudra me pardonner d'être une débutante quand tu seras très fort !"

Je me redresse vers Rich avec un sourire.

"Je ne veux pas vous exclure, mais je ne veux pas qu'il oublie notre langue."

Si la langue de la Colonie doit être le français, soit, mais ça n'en fera pas la seule langue non plus.

Nous parlons encore quelques minutes, et je donne notamment mon adresse mail et mon numéro de téléphone à Rich, afin que nous puissions facilement organiser les prochaines leçons, puis nous nous séparons. J'emmène mon fils vers le cinéma, pour regarder un film avec lui.