Invité | Sam 22 Juin - 12:56 | Stella Edlund "Standing tall, no brick in the wall." | Bonjour à vous.
Je m'appelle Stella Edlund mais mes amis aiment m'appeler Tely. J'ai physiquement 25 ans et suis originaire de Suède. J'exerce la fonction de Gymnaste (qui n’a pas encore achevé sa reconversion en kinésithérapeute) au sein des Guerriers d’Avalon.
Côté famille, j'ai rejoint le projet Noé avec mes parents, Sigvard et Henrika Edlund, et mon petit-frère, Rafael. Aux yeux de la colonie, je suis Célibataire. | |
Ce qu'on dit de moi Descriptions Physique et Mentale Il faut avant tout savoir que j’ai été éduquée par un militaire et que, par la grâce de sainte Brigitte, j’en suis ressortie aussi plate qu’il n’est possible : la seule chose susceptible d’être véritablement indisciplinée chez moi, ce sont mes cheveux – qui donnent souvent l’impression de ne pas savoir où se mettre. Mais le semblant d’exubérance que je peux avoir s’arrête là. Pas de style vestimentaire inapproprié, ni de tempérament d’adolescente réfractaire : je n’ai aucun problème avec l’autorité et me tiens obstinément dans les clous, pour l’amour de mon Papa.
Vous me trouverez peut-être un peu cynique envers moi-même, par moments, mais c’est seulement que je travaille à me regarder sans trop d’indulgence. Cela ne signifie pas que je ne m’aime pas.
J’ai longtemps désespéré de dépasser le mètre soixante-huit auquel je culmine aujourd’hui. Vous comprenez, dans ce qui était notre maison, à Västerås, une main tendue rattachée à un tel corps ne pouvait qu’atteindre, en ultime lieu, l’étagère qui contenait les boîtes de hareng fermenté et le pain croquant ; les bonbons et les viennoiseries à la cannelle se trouvaient plus haut encore, hors de ma portée, sous la garde vigilante d’une mère qui surveillait le moindre de mes écarts – ainsi vous vous figurez aisément mes détresses enfantines. S’il s’agit de la taille moyenne pour une Suédoise, je reste bien plus petite que le reste de ma famille et c’est parfois exaspérant, surtout quand on a un cadet qui a toujours aimé se donner une brusquerie fanfaronne. Mon médecin m’a maintes fois assuré que mes trente-cinq heures d’entraînement hebdomadaires n’avaient fait que retarder ma croissance sans l’abréger et que j’étais de toute façon « programmée » pour devenir ce que je suis maintenant. Il a bien fallu le croire. Je me convaincs, de mon côté, qu’être plus grande aurait fortement diminué la maîtrise que je prétends avoir de mon corps. Il est mon meilleur allié – j’aurais pu tourner une publicité pour un yaourt minceur, vraiment – et j’en prends un soin infini pour qu’il ne me fasse pas payer trop cher toutes les rigueurs que je lui fais subir quotidiennement. Bien que cela ne soit pas le cas de tout le monde, surtout dans un milieu aussi médiatisé que celui des Sports olympiques où on a vite fait de sexualiser une fillette de douze ans, j’ai toujours vu en lui une cuirasse plutôt qu’un instrument de séduction : c’est lui qui s’est rendu malléable au point d’amortir mes chutes et de me permettre l’ascension, lui qui, par son infaillibilité, a fait de moi une femme à l’épreuve du jugement, accoutumée à se trouver au centre de l’attention et de la critique. Il me semble que le réduire à ses hypothétiques appas serait lui faire offense. De toute façon, les rares fois où j’ai essayé de concilier ces deux aspects, mon agilité s’est étrangement muée en une distinction toute pachydermique. Il n’y a là aucune fausse modestie, car je tire par ailleurs une réelle vanité de la souplesse et de la tonicité de mon corps, qui me donnent souvent l’impression d’être invincible, à l’épreuve du monde entier.
Les yeux de ma mère sont d’un bleu très froid, presque glacial. Il paraît que j’ai les mêmes, mais en ce qui me concerne, évidemment, je rate mon effet : loin d’être intimidant ou dissuasif, mon regard est au contraire trop éloquent – pour ne pas dire un peu crétin – et n’a rien perdu de sa curiosité enfantine, miroir exact de ma vie intérieure. J’aurais aimé être un peu plus douée pour dissimuler tous ses sursauts spontanés, qui disent un peu trop expressivement ce que je peux penser des autres quand j’ai toujours mis un point d’honneur à ménager les susceptibilités. Cela peut paraître étonnant, j’en ai conscience. J’aurais tout à fait pu me montrer plus agressive envers mon prochain, m’enhardir par la seule connaissance que j’ai de ma propre valeur et de mes exigences, mais il n’en est rien. J’ai en effet eu tout le loisir d’apprendre que nous avons chacun nos combats à mener et que les détours sont parfois préférables aux douloureuses lignes droites, quand bien même l’efficacité reste une chose séduisante. L’alternative du franc-parler est toujours là, avec ses rudesses, mais à choisir, j’incline plus volontiers vers la pommade lénifiante.
Ma peau me trahit souvent elle aussi, trop pâle, vulnérable au soleil comme aux émotions. Qu’à cela ne tienne, j’ai appris à ne pas combattre ma nature trop farouchement. Il est facile, à me regarder, de me taxer de candeur, et j’ai pris assez de recul sur ma propre niaiserie pour ne pas la démentir mais l’assumer avec une force tranquille : je fais partie de ces rares nigauds qui considèrent que l’ambition et la compétition n’excluent pas le fair-play, que l’émulation est le moteur d’une société saine et le scrupuleux respect d’autrui, son ciment. Je souris, beaucoup, même quand je n’en éprouve pas l’envie – c’est que j’ai appris à le faire en toutes circonstances –, parce qu’on ne sait jamais, un sourire est peut-être tout ce dont a besoin celui qui le reçoit pour continuer ou finir ce qu’il a entrepris. Risquer de passer pour une gourde, ce faisant, ne m’effraie pas – en fait, dans la mesure où ma famille m’a toujours prise au sérieux et cru en moi, j’ai très vite goûté un plaisir et un amusement un peu pervers à être sous-estimée ou prise pour ce que je ne suis pas. Je pense qu’un peu de secret a du bon, qu’il n’est pas nécessaire de tout savoir, ni de tout révéler. J’estime que ma mauvaise humeur, quand elle me retourne les tripes, ne regarde personne et qu’il est alors préférable de m’isoler plutôt que d’avoir l’orgueil de m’imposer aux autres. Vraiment, j’essaie d’être d’une compagnie agréable, de faire preuve de délicatesse : attentive toujours, juge si c’est ce que l’on attend de moi, volubile si j’y suis invitée. Je travaille à être un pilier solide, à avoir le mot pour rire quand il faut, et en un sens, je peux être quelqu’un de très ennuyeux, car trop lisse – mais enfin, on n’a pas toujours ce qu’on veut !
Mon frère m’a parfois reproché mes complaisances, de même qu’il n’a jamais vraiment compris cet incurable besoin de donner un sens à mes actions, à mon existence. D’une certaine manière, je partage sa perplexité. De fait, par une forme d’hypocrisie et de lâcheté que j’espère sans conséquence, j’appelle détermination ma peur de l’oisiveté et je vois dans l’effort un salutaire empêcheur de tourner en rond. Je crains par-dessus tout la contemplation et ce qu’elle pourrait me renvoyer de mes abîmes intérieurs – à supposer qu’ils soient si profonds –, aussi me sens-je obligée de m’occuper, de m’oublier en permanence dans le labeur. Mes parents ne s’y trompent pas, d’ailleurs : s’il y a des restes d’enfance dans ma répartie et mes rires, le fond de ma gorge, lui, est tapissé de frustrations péniblement ravalées, d’une insatisfaction chronique qui me pousse sans cesse à interroger les choix que j’ai pu faire. La légèreté qui me caractérisait pendant l’adolescence s’est un peu garnie de plomb. J’ai peut-être appris trop brutalement la nécessité des compromis, et évidemment, dans la mesure où j’ai eu une vie relativement facile, il a bien fallu que j’en fasse tout un drame et que je me tresse une couronne d’épines. Néanmoins c’est promis : vous n’en saurez rien. Écoutez mon histoire Le Background du personnage Je suis née en Suède, à Västerås, au cours d’un mois de mai particulièrement redoutable pour les personnes sujettes aux allergies. Il paraît que ma mère a commencé le travail au bout d’un énième éternuement qui a failli lui bloquer les lombaires. Mon père, sans s’effrayer de ses barrissements entrecoupés d’imprécations – des douceurs telles que « Je sens que je vais lui sculpter des jouets dans tes foutus os. » – lui aurait imperturbablement tenu la main, ou plutôt le poing, jusqu’à ce que mon premier cri ne suspende furieusement les hostilités. En dépit de la maladresse affective de mes parents, j’ai eu la chance d’être une enfant particulièrement désirée, et je devais couler des jours heureux dans notre petite maison aux murs rehaussés de lierre, rejointe trois ans plus tard par un petit-frère aussi infernal qu’adorable. Pendant de longues années, je me suis levée chaque matin avec des airs de mérinos mal peigné, j’ai tâché de me servir de mes grosses joues pour amortir mes chutes, cassé les oreilles de tout le monde… J’étais curieuse, et partant intenable. L'idée qu’on peut se faire des choses et la faculté de mon esprit à concevoir ne me suffisaient pas alors : j’ai eu besoin de goûter, de toucher, de grimper et de me blesser longtemps après l'âge où ces actions exploratoires cessent d'être indispensables au développement de l'enfant. Je ne me satisfaisais pas d'un imaginaire, d'une connaissance purement théorique du monde. Mes parents, malgré leur sévérité apparente, m’ont sans doute offert trop de liberté en regard des normes et standards éducatifs : ils m’ont guidée avec des mises en garde sincères plutôt que des interdictions, me laissant le choix des risques que je prenais, dans la mesure du raisonnable, et ne m’imposant ou ne me refusant jamais rien sans m’expliquer ce que j’étais en âge de comprendre. C’était très judicieux de leur part, en vérité : toute téméraire que je prétendais être par mes fredaines, l’absence d’interdits clairement formulés n’a pas provoqué mon esprit de contradiction, ce qui a laissé toute latitude à la prudence pour inhiber progressivement ma conduite. Chaque fois que j’étais sur le point de mettre les doigts là où il ne fallait pas, un autoritaire « Ne touche pas ! » me paraissait beaucoup moins effrayant et dissuasif qu’un « D’accord, vas-y, mais fais attention : tu risques de te faire très mal si tu continues. » J’ai aimé l’école, et quand mes capacités intellectuelles n’étaient pas à la hauteur de ma bonne volonté, ma curiosité suppléait un peu à mes insuffisances. Ma mère, ingénieure écologue, accordait énormément d’importance à l’instruction et ne m’aurait jamais laissée négliger la mienne : j’ai appris trois langues, l’Anglais, l’Allemand et le Français, excellé en Instruction civique et en Histoire, mais un peu moins en Mathématiques ; quant au Sport, ce n’est pas la trop maigre place qu’y accordait l’école qui m’a lancée sur cette voie, mais la décision de mes parents de m’inscrire à un club de gymnastique, dès six ans, pour contenir mon énergie grandissante. J’ai continué de grimper aux arbres, éprouvant les limites de mon corps à la pierre de touche qu’était pour moi le monde alentour. Je me suis blessée souvent, j’ai rompu l’harmonie de mon visage et de ma peau sans mortifier ma vanité, étrangement inexistante par ailleurs. Je me suis accommodée patiemment des cruautés de mes camarades, me délectant de leurs tendresses. Les colères explosives m’ont toujours été tout à fait étrangères et je n’ai nul besoin, encore aujourd’hui, d’éruption volcanique pour venger mon orgueil – ou tout simplement pour faire l’effet d’une aiguille dans le pied. Ma jovialité persistante, de fait, ne m’empêchait jamais d’être étrangement mesurée : la haine et la fureur, comprenais-je déjà confusément, supposaient un engagement affectif trop important et trop malsain pour être de mon fait. Je préférais toujours une forme de détachement et, si c’était vraiment nécessaire, ne régler mes comptes qu’en souriant. Il paraît que c’est un genre de « chasseur de têtes » qui m’a remarquée alors que j’avais dix ans : les gymnastes fétiches n’étaient plus nécessairement celles d’Europe de l’Est, alors, mais les Américaines, et certains originaux caressaient l’espoir d’inverser la tendance, de trouver l’outsider dans des contrées qui n’étaient pas réputées pour être des viviers de talents dans le domaine de la gymnastique artistique. Celle-ci prenait de plus en plus de place dans ma vie et je n’avais pas mis longtemps à manifester le désir d’en faire un peu plus qu’un loisir. Mon père, qui a toujours vu dans l’exercice la meilleure discipline, m’a immédiatement soutenue ; ma mère, quant à elle, n’a consenti à m’inscrire dans un centre sportif de haut niveau qu’une année plus tard, à la seule condition que je poursuive mes études de manière à pouvoir assurer une reconversion le cas échéant. Je devais avoir chaque jour trois à quatre heures de cours, six à huit heures d’entraînement, mais il a rapidement fallu que je bénéficie de nouveaux aménagements scolaires pour participer aux différentes compétitions que je convoitais. J’ai grandi ainsi, au sein d’un cercle relativement fermé de gymnastes talentueuses, entre la protection discrète mais rigoureuse de mes parents et l’exaltation narquoise – mais au fond sincèrement tendre – de mon frère. Je me suis blessée encore et j’ai appris pour de bon à me montrer prudente, songeant souvent, entre les mains réparatrices du kinésithérapeute, que je devais chérir mon corps afin de pouvoir continuer à m’épanouir dans l’effort. Malgré la fatigue, ces années ont été les plus belles de ma vie. Je dois admettre que ma passion a finalement laissé peu de place aux préoccupations ordinaires d’une adolescente. J’ai franchi bien peu de limites en compagnie de mes rares amies, et si j’ai amorcé quelques amourettes en impressionnant deux ou trois garçons – voire filles – en marchant sur les mains, ce n’était pas ce qui me donnait véritablement des papillons dans le ventre. Je recherchais ardemment les sensations que me procurait la gymnastique : le vertige qui me liquéfiait délicieusement les entrailles lorsque je décollais du sol, la manière dont ma queue de cheval se lovait contre ma nuque pendant un saut de mains, le tremblement qui remontait le long de mes jambes lorsque je me réceptionnais, l’élasticité sans cesse éprouvée de mes muscles, l’afflux de sang dans le crâne, le cœur tambourinant dans les oreilles, la contraction brûlante des abdominaux en exécutant un saut carpé, le puissant gainage au moment de pirouetter à quelques mètres du tapis, qui semblait donner à mon corps la même économie de lignes qu’une lame ; en somme la sensation exquise d’être montée sur ressort, au sens propre de l’expression – je croyais ne vivre que pour elle, ainsi que pour les souffles retenus de mon public, chaque année un peu plus dense. *** Mais il faut que je vous parle de mon père. J’ai toujours pensé que mon père était un homme bien. Je sais qu’il a très jeune pris le pli d’obéir, en toutes circonstances, d’incarner tout ce que l’habitude, la routine, peut avoir de rassurant, au mépris du plaisir parfois affolant que l’on peut trouver dans l’imprévu. Mon père est un homme qui a toujours ouvert l’œil à cinq heures et demie du matin, mangé ses tartines au pâté de foie à six, avant de partir écouler sa journée en régiment. Je n’ai jamais cherché à lui demander ce qu’il faisait là-bas ; lui-même, aujourd’hui encore, n’en parle pas, et ma mère n’a pas non plus jugé intéressant de partager les maigres souvenirs qu’elle a pu garder de l’année où elle a logé là-bas avec lui, aux frais de l’armée, avant qu’ils ne s’installent dans le civil à Västerås où je devais naître quelques mois plus tard. Je sais seulement que, s’il nous quittait si tôt le matin, c’était pour invariablement nous revenir le soir, à dix-neuf heures, quand aucune garde ou mission ne le retenait loin de nous. Il ne m’a jamais rien dit des raisons qui l’ont poussé à s’accrocher si solidement au confort des habitudes, lui qui semblait pourtant n’avoir peur de rien ; mais j’en ai conçu, au fond, une posture hybride et un peu incommodante, entre la reconnaissance et la recherche de ce confort, parce que j’ai toujours trouvé dans sa rigueur un indicible soulagement, et l’angoisse viscérale qu’a suscitée en moi une telle inertie : l’enfant que j’étais, par simple esprit de contradiction, a très tôt souhaité se jeter hors des sentiers battus, avant de revenir en sanglotant dans le giron si rassurant de son père. En dépit de mon énergie intarissable, j’ai toujours été ce que l’on appelle une fille sage. J’ai d’abord cru faire preuve de lâcheté en refusant de braver les commandements de mon père, mais j’ai eu la chance – sans doute – de grandir dans un environnement où la transgression n’était pas de bon goût. Aujourd’hui, chez les Edlund, nous considérons tous qu’il est bien trop commun et finalement plus simple de faillir, qu’il est bien plus difficile et honorable de s’astreindre à la bonté et à la droiture. J’ai toujours pensé que mon père était un homme bon et droit. Il ne s’est jamais montré brutal avec moi, et je ne pense pas seulement ici à tout ce qu’il aurait pu déployer de violence pour endiguer mon énergie. Nous étions différents. Là où il pouvait se tenir immobile pendant des heures, se livrer à une longue contemplation dont j’étais incapable, j’éprouvais le besoin de remuer, de toucher à tout, de me blesser quelquefois contre les aspérités du monde. J’étais épuisante. Or il n’a jamais eu le moindre claquement de langue, le moindre regard méprisant pour me rabrouer et me signifier que notre différence lui déplaisait. Il m’a laissée vivre autour de lui, croître à la manière d’une mauvaise herbe, et n’a cherché à me discipliner qu’avec douceur, lentement mais sûrement, à travers diverses activités qui, loin de me paraître contraignantes, sont rapidement devenues pour moi des refuges. Je ne le remercierai jamais assez de m’avoir si tôt initiée à la gymnastique. Savait-il qu’il m’offrait par là même la chance extraordinaire de faire de mon corps mon meilleur ami, de m’affranchir de son poids quand tout nous attire quotidiennement vers la terre ? Je crois que oui. Mon père n’a pas permis que je me sente mal dans ma peau. Il nous a d’ailleurs donné toutes les armes pour réussir, à mon frère et à moi. Il nous a montré, à sa manière, que nous comptions. Il était inenvisageable, par exemple, de ne pas profiter de ses permissions pour nous emmener faire de longues promenades sur les bords de la Svartån. C’est là-bas, sur l’herbe grasse, que je lui ai montré mes nombreux progrès, qu’il m’a laissée briser tous ses silences avec des éclats de rire et des boutades parfois inappropriées. Je pense pouvoir dire que j’étais heureuse, alors, emmitouflée entre la sévérité réconfortante de mon père et l’assouplissement douloureux – mais si satisfaisant – de mes muscles, cultivant à la fois la sanité d’esprit et celle du corps. J’avais du talent, et je l’ai rapidement démontré. Mon foyer, en dépit des apparences, ne s’est jamais apparenté à un nid étouffant. La tendresse sans effusion de ma mère, discrète et presque froide dans ses attentions, m’a très tôt permis de gagner en autonomie. Elle accordait, comme mon père, une importance primordiale à l’accomplissement personnel, et tous deux avaient appris à ne pas transiger là-dessus. J’ignore comment ils échouèrent à me l’apprendre, à moi. À dix-neuf ans, forte de mes nombreux succès et de l’appui toujours plus vigoureux de mon corps dont j’entretenais chaque jour la ductilité, j’entendais figurer parmi les gymnastes les plus médaillés aux Jeux Olympiques. Mon père m’avait toujours soutenue dans ce sens et avait probablement travaillé à ce que rien ne puisse m’en détourner. C’est sans doute la raison pour laquelle il a annoncé avec tant de naturel, ce jour-là, sa participation au Projet Noé, et son désir d’emmener avec lui ma mère et mon frère. Mais moi ? Tout me retenait ici. Tout devait me retenir ici, et à en juger par sa détermination, par son absence d’embarras moral, il ne concevait pas un seul instant que cela puisse être un déchirement pour moi. À ses yeux, mon succès et moi semblions avoir formé une sorte de machine autonome, inarrêtable, indépendante de toute considération affective et sentimentale. Si ma famille souffrait à l’idée de me quitter, elle n’en devait rien montrer, pour le bien de ma propre ambition, qui passait légitimement avant le reste – et le choc a été tel, ce jour-là, que je n’ai pas été capable de hurler au visage de mon père qu’il avait en réalité subordonné mon ambition à la sienne. La cassure que j’ai éprouvée à ce moment-là a été bien différente de celle que j’ai imposée à mes muscles des années durant. Je ne comprenais pas ce qui était pour mon père une évidence : la perspective de continuer à vivre, à briller sans le soutien et le rayonnement des membres de ma famille derrière moi. Je commettais l’erreur de vouloir leur plaire et de les rendre fiers, plutôt que de tirer égoïstement vanité de mon succès, alors même que mon père pensait m’avoir appris à m’épanouir sans avoir besoin de l’aval de qui que ce soit. Il s’attendait à ce que je poursuive mon rêve, je crois, à ce que je n’aie pas la faiblesse de reculer par sentimentalisme. Je n’imagine sans doute pas à quel point c’est vrai. En vérité, je jurerais qu’il a été déçu, quelques mois plus tard, de me voir renoncer pour eux. J’aurais aimé pouvoir lui assurer que c’était par amour – quand bien même il me l’aurait sans doute reproché ; mais je ne suis pas bien sûre, encore aujourd’hui, que ce n’était pas également par peur. Peur d’avoir à avancer seule. Peur de vaincre seule. *** Dans les mois qui ont suivi, consacrés à l’enterrement méthodique de notre vie, j’ai eu mille occasions de revenir sur ma décision. Mes professeurs et mon manager, tout impressionnés qu’ils soient par la participation de mon père au projet Noé, ont tout fait pour me dissuader de partir. Les Jeux Olympiques m’attendaient, la médaille d’or ne demandait qu’à se pendre à mon cou, avant une retraite bien méritée à vingt-et-un ou vingt-deux ans. Chaque fois que j’ai repoussé l’une de ces tentatives, je me suis abîmée un peu plus dans un mutisme tourmenté. La détermination de ma famille me jetait dans un terrible désarroi. Les préoccupations écologiques de ma mère, contre toute attente, avaient fini par l’emporter sur sa prudence naturelle et mon frère ne pouvait tout simplement plus tenir en place, impatient de pouvoir, disait-il, « explorer l’espace ». Ni lui ni moi n’avions fini nos études et je me demandais quel avenir nous attendait à bord d’un vaisseau qui nous mènerait sainte Brigitte sait où. Je me destinais à l’origine à une reconversion en tant que kinésithérapeute, lui à une brillante carrière d’ingénieur naval. J’avais peur, les hurlements de frustration brûlaient de franchir le rempart de mes lèvres aussi abondamment que le contrôle de ma vie ne me coulait des mains ; tout m’échappait. Et en même temps, je me reconnaissais paradoxalement dans la « folie des grandeurs » qui caractérisait le projet Noé ; surtout, je comprenais progressivement, un peu malgré moi, que mon rêve de jeune gymnaste était bien peu de chose en comparaison de celui de toute une planète. J’ai beaucoup pleuré pour commencer ; puis je me suis mise à ravaler mes larmes, gardant mon amertume en travers de la gorge. J’ai choisi la stase, évidemment. C’était le meilleur moyen d’alléger le fardeau que représentait pour moi un tel départ : je ne voulais pas assister à l’effritement de ma vie passée. Les motivations de mon frère étaient différentes : il voulait s’assoupir de même qu’un enfant espère faire passer le temps plus vite en dormant le soir du Réveillon de Noël. Son enthousiasme me blessait – vous auriez dû le voir se tordre le cou pour embrasser du regard tout l’intérieur de vaisseau – mais je me taisais. Mon père ne devant être d’aucune utilité pendant la durée du vol, nous avons obtenu gain de cause. Je ne pensais me réveiller que pour fouler le sol d’une planète hospitalière où tout serait à construire. Je pensais rouvrir les yeux sur une alternative satisfaisante à ma carrière de gymnaste, une nouvelle réalité qui m’aurait permis de relativiser mon sacrifice. Mais en considérant l’assombrissement de mon père qui avait émergé le premier, j’ai compris qu’on avait tout laissé tomber pour atterrir dans la gueule du loup. Ma mère, mon frère et moi l’avons regardé partir avec les forces de sécurisation de la « colonie », avant de nous faire expliquer la situation en douceur : le crash, la planète vivable et débordante de ressources, mais grouillante de créatures hostiles qui n’admettraient sans doute pas de cohabitation pacifique. Malgré la boutade bienvenue de mon frère – « Mais concrètement, en quoi ça diffère d’avoir à cohabiter avec Stella ? » –, je n’ai pas vraiment réussi à sourire. J’avais un autre problème, difficile à formuler. La stase, cette merveille de technologie, m’avait permis d’échapper dans une certaine mesure aux vicissitudes du temps, mais un corps accoutumé aux entraînements intensifs depuis l’enfance ne s’y trompe pas, et le mien a immédiatement senti qu’il avait été floué. J’ai mal vécu le réveil. Une heure n’a pas suffi à faire disparaître cet engourdissement étrange profondément incrusté dans mes muscles, des jours et des semaines non plus : je l’éprouve encore aujourd’hui en dépit de mes efforts pour me raccorder à l’existence. Il y a quelques mois cependant, c’était plus grave, un manque voire une forme de dépression corporelle, une détresse toute physique qui m’a donné envie de me jeter contre les parois du vaisseau pour me sentir à nouveau appartenir au monde. J’étais comme déphasée, retenue en-dehors de ma propre chair. Je n’ai pas pu reprendre mes bonnes vieilles habitudes tout de suite, néanmoins. Il a fallu passer un test obscur dont je n’ai pas compris, alors, les tenants et les aboutissants. À en juger par l’œil désapprobateur et inquiet de ma mère, par les traits rembrunis de mon père quand j’ai été déclarée « compatible », il a bien fallu soupçonner que ça n’augurait pas nécessairement du bon pour moi. On a cherché à me ménager, d’ailleurs, parce que j’étais une civile entourée de professionnels très compétents, mais je n’ai pas pu fermer les yeux très longtemps sur la « mission » qui me pendait au nez, et pour laquelle je n’étais évidemment pas taillée : défendre la colonie. Contre quoi ? Là encore, on n’aurait eu aucun intérêt à me cacher indéfiniment que les vilaines bestioles que je pourrais hypothétiquement combattre dans un futur plus ou moins proche atteignaient parfois des proportions considérables. Que faut-il dire, à présent ? Que j’ai failli me faire pipi dessus ? Que mes genoux se sont mis à flageoler ? Que j’ai senti mon cœur se comprimer dans une épouvante métaphysique – autrement appelée « Mais laissez-moi tranquille ! » ? C’est encore au-delà de ça. Je possédais une excellente constitution physique, certes, quoiqu’un peu atrophiée alors, mais si elle me donnait un avantage certain pour m’adapter et apprendre les rudiments de mon nouveau statut, les situations plus ou moins dangereuses qui m’attendaient promettaient de ne pas mobiliser les mêmes réflexes que la traversée acrobatique d’un tapis de gymnastique dans un justaucorps à paillettes avec un nombre incalculable de caméras braquées sur moi. Il ne s’agissait plus, ici, de simples prouesses physiques longuement préparées en amont et savamment chorégraphiées, mais plutôt de griffes, de crocs et autres réjouissances aussi imprévisibles qu’une vague scélérate. Et qu’avais-je pour m’en sortir ? Une « écaille » que je ne pouvais comprendre, pour commencer, que de manière instinctive. La profane que j’étais – et que je suis encore aujourd’hui – a été très bien entourée dès le premier essai. Je ne saurais décrire la sensation que m’a procurée le recouvrement de mon corps par cette technologie géniale qui m’échappait totalement : la trompeuse certitude d’être à l’abri – grâce au champ répulsif, m’a-t-on dit plus tard –, puissante, extraordinairement mobile, et en même temps dangereusement vulnérable par la connaissance insuffisante que j’avais de ses rouages. Je me souviens de la réaction de mon frère quand il m’a vue endosser Ratatosk pour la première fois : un sourire un peu boudeur, mélange d’envie résignée et de fierté admirative. Sa forme vient sans doute d’un des moments les plus heureux de notre enfance : quand je l’ai aidé à grimper un arbre particulièrement retors alors que nous composions insouciamment notre portrait chinois. « Si tu étais un animal ? » m’a-t-il demandé alors, « Je serais un écureuil pour pouvoir te casser les noix. » ai-je répondu en le hissant au sommet dans une ultime poussée. Et maintenant ? J’ai le mal du pays, mais je pense être solide sur mes jambes et assez endurante pour encaisser ce qui m’est tombé dessus. Je n’ai pas du tout l’instinct d’un soldat et il est difficile de transposer la souplesse dont je suis si fière dans les situations d’urgence, d’allier agilité et réactivité ; cependant j’y travaille d’arrache-pied, tout en poursuivant ma formation pour essayer de servir également comme kinésithérapeute. On me dit que c’est vain. C’est peut-être vrai. Je prends à cœur les remises à niveau, je m’entraîne souvent pour ne pas être un poids ; et peut-être, de fait, que je commence à y prendre goût, à cause du besoin que j’ai de me sentir utile, et de rayonner à nouveau – il faut l’admettre – dans le regard de mon père qui m’a épaulée dans cette transition difficile. La peur est toujours là. Derrière le Personnage Stella, 28 ans | » Comment as-tu découvert le forum ? Par un top-sites. » Comment se nomme l'inventeur des Écailles d'Avalon ? Erik Carlsson. » Le personnage sur ton avatar : Hana de dCTb. » Un dernier mot ? J’espère ne pas avoir fait de bêtise pour ce prédéfini. Hâte de vous rejoindre ! |
Codage ⓒ Mélicendre RATATOSK » Numéro de Série du Noyau : 517.
» Armature : Bon, vous dire que Ratatosk ressemble à un écureuil mutant en métal ne serait sans doute pas satisfaisant, alors je vais essayer de vous répéter les mots barbares avec lesquels les techniciens me l’ont présentée juste après mon premier essai. C’est une super-combinaison de combat hérissée de griffes et d’aiguillons au niveau des épaules, des mains, du dos, des genoux et des pieds. Elle est construite dans un alliage très ductile, supposé permettre le combat rapproché et la mobilité en milieu dense. Elle est exactement ajustée à ma morphologie et ne me grandit pas, ce qui fait de moi un adversaire petit mais particulièrement teigneux, surtout dans les forêts où tous les obstacles deviennent des points d’accroche et de propulsion en puissance. Néanmoins, les étendues dégagées l’exposent dangereusement et la rendent particulièrement vulnérable car sa capacité de destruction à distance est assez limitée. - Ratatosk:
Référence : Valkyr et Valkyr Prime dans Warframe.
» Capacités et Armement : Ratatosk s’épanouit dans les milieux denses, où la visibilité et la mobilité sont a priori limitées par les obstacles alentours. Il est taillé pour se frayer rapidement un passage vers sa cible et surgir là où on l’attend le moins, dans la perspective d’un engagement très rapproché où l’effet de surprise est déterminant. Quand je l’endosse, mon mode opératoire est sensiblement similaire à celui d’un écureuil : je me faufile partout, je cherche le centre névralgique, je m’agrippe, je perfore et je grignote l’intérieur comme un rongeur – ou un ver, je l’admets – le ferait d’une noix. Ma petitesse, alors, fait paradoxalement des créatures les plus grosses mes cibles de prédilection.
La mobilité est le principal atout de Ratatosk. En plus du champ répulsif, un système amélioré d’amortissement et de propulsion innerve toute la combinaison, pour m’assurer une excellente réception en toutes circonstances et faire en sorte que chacune de ses parties puisse devenir un appui pour le prochain bond sitôt que j’y aurai pensé.
Les griffes au niveau des mains et des pieds sont extensibles et capables de perforer les cuirasses les plus résistantes, mais le véritable arsenal de cette écaille réside dans l’assemblage de câbles tranchants et de lames-fouets susceptibles de se matérialiser à partir de chacun des aiguillons qui la composent – oui, j’ai bien appris ma leçon. Leurs fonctions sont diverses : certains, offensifs, peuvent dégager une chaleur capable de découper les matériaux qui auraient résisté à mes griffes ; d’autres, plus défensifs, amortissent mes chutes ou celles de mes coéquipiers, entravent l’ennemi dans un réseau tentaculaire extrêmement solide ou augmentent ma mobilité en me permettant de grimper n’importe où : mon préféré peut prendre la forme d’un grappin et attirer à moi des corps très lourds – ou, quand ils le sont trop, me propulser vers eux pour faire ce que je dois.
|
|