Arielle a tout essayé. Les tractions à la barre, la nage, la posture du cobra, les étirements, les compléments alimentaires, tout ! Et pourtant, elle n'a jamais grandit plus loin que son misérable mètre 57. Elle déteste son physique d'adolescente, son faible tour de poitrine, ses petites hanches. Elle a beau avoir de longues jambes, elle reste désespérément petite, et il n'y a rien de plus agaçant pour elle que de devoir lever la tête pour croiser le regard des autres. Hors de question de porter des échasses cependant, ça ne ferait que la ridiculiser davantage. Son visage d'ange ne rends pas les choses plus faciles, ni sa chevelure brune souvent en bataille nouée en une adorable couette. Le zeste de maturité qui émane de ses traits est surtout lié à son regard bleuté, qui ne cesse jamais d'être actif, brillant de mille feux. Que ce soit pour fixer ses futurs projets, abreuver sa soif de connaissance, ou tout simplement regarder ses détracteurs avec mépris, en leur jetant au passage une pique bien sanglante.

Arielle n'a pas sa langue dans sa poche. Elle est rarement hypocrite, et n'hésite pas à dire tout le mal qu'elle pense des gens. Elle ne vit que par la réussite et le succès, et ne reconnais que le travail franc et acharné. Elle déteste ironiquement la facilité, et ne recule jamais devant un challenge, même s'il semble être impossible à surmonter. Son comportement hautain, têtu et rancunier s'explique largement par le complexe qu'elle éprouve vis-à-vis de son frère, qui a toujours mieux réussi qu'elle, et qui a toujours été source de haine, d'envie et de jalousie. Elle n'a jamais digéré vivre dans son ombre, et c'est cette rancœur au fond d'elle qu'elle offre au monde entier, sans filtre ni censure. Impatiente avec tout ce qu'elle entreprends, elle veut toujours aller trop vite, quitte à griller les étapes et à commettre des 'faux-pas'. Mais si elle peut être la personne la plus infecte de l'univers, cela ne veut pas dire qu'elle n'est pas capable de gentillesse. Elle n'a juste pas de temps à y consacrer, c'est tout.

Toujours occupée, Arielle vit à 100 à l'heure, en essayant de sauter le plus d'étapes possibles, de tout faire en même temps. Conséquence de quoi, elle traine une quantité de casseroles pas croyable derrière elle. Ses compétences sociales sont nulles, elle est accro aux compléments alimentaires, aux vitamines de synthèses, à la caféine. Elle n'aime pas les plats cuisinés, c'est trop long à préparer ou à manger ! Et bien sûr, elle est totalement hypermétrope. Impossible de voir plus loin que le bout de son nez sans ses lunettes. Astuce : les enlever permets de ne pas voir les gens. Pratique !

Brillante. Très brillante. Surdouée, génialissime, inégalable. Mais tellement, tellement peu face à ce que représente son frère, Mathias. Tellement insignifiante face au cerveau extraordinaire de son frère, fierté de sa famille, de l'université, de ses pairs. Toute sa vie, elle a vécu dans son ombre, comme si elle chassait inéluctablement un fantôme que jamais elle ne serait capable d'attraper. Les distinctions, les décorations, les récompenses, mais aussi la reconnaissance du milieu scientifique, de sa propre famille. Il avait tout, et elle rien. 'C'est bien', 'bon travail', 'tu es douée', 'bravo'. Des mots qui sonnent creux, qui n'ont aucune substance, qui sont juste là pour attester de ses œuvres. Elle n'avait plus aucune valeur, tandis que lui était tout. Et parce qu'il était tout, elle le détestait. Et parce qu'il était son frère, elle l'aimait.

Depuis le début, c'était comme ça. Quand elle est née, Mathias avait déjà 5 ans, et il faisait déjà parler de lui. Se passionner pour la préhistoire et les insectes ne suffisait pas, il fallait en plus qu'il se montre aimant et attentionné envers sa petite sœur. Il n'avait aucun complexe de supériorité, ni aucune jalousie. Il était juste un petit frère heureux d'avoir une petite sœur. Et dans cette famille aisée vivant à Fontainebleau, vieille lignée noble dont les descendants actuels étaient devenus enseignants, c'était une bonne chose. Au fil des années, la nounou fut remplacée par un Mathias très heureux de pouvoir apprendre des choses à une petite brune curieuse de tout. Celle-ci l'admirait, ses connaissances ne semblaient jamais tarir, et son regard brulait d'une passion pratiquement infinie. Il était la personne la plus proche d'elle, la personne qui comptait plus que tout pour elle. Bien plus que ses parents fantômes et maniérés. Bien plus que ses professeurs particuliers ou ses copines superficielles.

Mais petit à petit, il s'éloignait. Inexorablement, comme poussé par une force invisible. Laissée à ses géniteurs, Arielle se battait. Elle faisait tout pour suivre les pas de son frère, tout pour s'accrocher à lui et ne pas le perdre de vue. Elle voulait être aussi brillante que lui, aussi resplendissante devant les autres que Mathias ne l'était. Tout ce qu'il faisait, elle voulait le faire ! C'est pourquoi elle suivait les mêmes cours, les mêmes études. Les mathématiques, les sciences de la vie, l'option scientifique au lycée, les mêmes professeurs particuliers. Mais elle déchantait très rapidement quand elle comparait ses accomplissements à ceux passés de son frère. Elle avait beau avoir eu son bac à 16 ans comme lui, ce n'était qu'avec une mention bien. Mathias, lui, avait pulvérisé des records avec des notes proches de la perfection, avec des recommandations en tout genre. Il était le petit génie dont tout le monde parlait, brillant de mille feux devant tous. Bien sûr, ce n'était pas un nouvel Einstein, il ne révolutionnait pas le monde, mais aux yeux d'Arielle, c'était le cas. Il était l'individu le plus extraordinaire de la décennie. Ce qui n'était pas le cas de sa sœur qui restait désespérément dans son ombre.

Arielle se rendait à l'évidence. Jamais elle ne parviendrait à égaler son frère, jamais elle ne parviendrait à marcher à ses côtés. Et pourtant, contre toute attente, il lui avait tendu la main. Armé d'un doctorat, le monde entier lui ouvrait ses portes, mais lui avait autre chose en tête : il voulait traverser l'univers en compagnie de sa sœur dans un projet fou : Noé. L'Arche était pour lui un moyen de franchir de nouveaux horizons, d'apporter un plus à l'humanité par le biais de ses connaissances, de son savoir théorique. Il voulait toucher du doigt les systèmes solaires les plus éloignés, faire des découvertes extraordinaires, véritable passionné au grand cœur désirant laisser une trace durable comme un héro cherchant à sauver le monde. Mais Arielle, elle, ne partageait pas vraiment cet enthousiasme. Son sourire était faux, son entrain n'était que comédie. Parce qu'elle le détestait, lui et tout ce qu'il était. Et ce malgré sa gentillesse, malgré sa bienveillance, malgré ce statut de professeur généreux qu'il était à ses yeux.

Le trajet spatial fut aussi court que percutant à ses yeux. 60 ans, comme ça, après un long rêve, c'était vraiment bizarre. Lorsqu'ils furent réveillés, Mathias et Arielle réalisaient qu'ils n'étaient pas parvenu à destination. 2 mois s'étaient écoulés depuis le crash du vaisseau, et tout semblait indiquer que cette planète hostile serait leur tombeau. Mais le génie n'en avait que faire, pour lui, même ce coup du sort était bon à prendre. Il y avait tant de choses à faire, à découvrir ! Tout en servant de professeur à sa sœur, il se faisait une joie d'aller participer aux rares explorations alentours, dans le but de récolter des échantillons importants, d'étudier la faune et la flore. Même dans l'adversité, même en sachant qu'il ne quitterait pas cet endroit, il brillait de mille feux. Encore et toujours, pendant qu'elle, pauvre petite sœur désabusée, se satisfaisait de sa médiocrité dans l'ombre de son laboratoire. Quand elle le voyait partir en courant lorsqu'une exploration était prévue, elle soupirait. 'Casse toi une jambe', soufflait-elle discrètement. Et ce qui devait arriver arriva. A croire qu'un jour, le destin fut fatigué de l'entendre réclamer inlassablement la même et unique chose.

Une bête carnivore inconnue, qu'ils avaient dit. Sortie de nulle part, comme ça. Et Mathias grièvement blessé, ramené à la Nouvelle Avalon entre la vie et la mort. Placé en coma artificiel, ses chances de se réveiller un jour étaient maigres. Arielle était complètement abattue. Elle était confuse, perdue, persuadée que c'était sa faute. Elle haïssait son frère, mais pas au point de le voir disparaître, de souhaiter sa mort ! Tous les jours, elle venait à son chevet, marmonnant des excuses comme si elle essayait de se racheter une conscience. Mais pendant qu'elle se morfondait, les menaces envers la colonie ne s'évanouissaient pas. Il fallait qu'elle reprenne ses études pour pouvoir aider la communauté, mais que pouvait-elle faire sans mentor, sans guide, sans le génie de son frère ? Les programmes d'apprentissage adaptés ne suffiraient pas, son travail ne serait jamais aussi abouti que celui de Mathias ! Elle était condamnée à vivre dans son ombre, à n'être qu'une moins que rien prédestinée à la médiocrité qui plus était assommée par une folle culpabilité.

Du moins jusqu'à ce qu'elle ne trouve ses écrits. Ses thèses, son mémoires, ses journaux, ses théories, ses travaux. Toutes ses connaissances, tout son savoir, tout ce qu'il avait appris, étaient là, sous ses yeux, dans sa chambre. Elle n'avait aucun mal à lire ses pattes de mouche incompréhensibles, aucun mal à suivre ses lignes. Et bien qu'elle était loin de tout comprendre, tout ça était désormais entre ses mains ! Elle n'était peut être pas aussi brillante que son frère, mais ce dernier, en couchant à l'écrit son savoir durant toutes ces années, lui offrait un petit coup de pouce. Elle n'avait cependant pas les connaissances pour mettre en pratique toutes ces données potentielles, ce serait un travail de longue haleine qui lui prendrait des années, surtout qu'elle ne pouvait pas se permettre de se faire prendre. Et si elle devait faire un faux-pas impardonnable en utilisant les travaux de son frère, alors tant pis. Elle franchirait ce tabou, elle assumerait sa culpabilité, si cela pouvait lui permettre d'exister pour la première fois de sa vie. C'était à son tour de s'avancer dans la lumière.

Depuis ce jour, Arielle ne rends visite à son frère que rarement. Elle se concentre à 200% à ses études, mais aussi aux travaux confiés par la colonie. Assistante de recherche acharnée, elle rayonne à sa façon. Elle a trouvé un sens à sa vie, bien qu'elle reste cynique malgré tout. Voler les travaux de Mathias était, après tout, un peu comme vendre une partie de son âme au Diable. Elle ne s'en est jamais vraiment remise complètement. Mais elle n'est pas instable ou folle. Elle est très professionnelle, et c'est une bosseuse qui ne cherche qu'à réussir là où elle a toujours échoué. Elle n'a pas besoin d'être gentille ou de se faire des amis si elle est irréprochable dans son travail. Elle n'a pas besoin d'être aimable du moment qu'elle fait tourner son labo à plein régime. Parce qu'elle sait qu'elle n'a pas de temps à perdre.

'Il' pourrait se réveiller un jour. 'Il' pourrait à nouveau lui voler la vedette. Et 'il' pourrait à nouveau être le gentil grand frère qu'elle déteste tant.

Félicitation !
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