Doigts qui glissent sur ses yeux, tentant d’effacer les poches venues du temps qui passe et défile, le Scientifique patiente, silencieux. Dans la salle d’attente du Centre, il attend calmement son rendez-vous avec le Directeur de l’institution. Il n’est pas vraiment habillé pour l’occasion, pour ne pas dire pas du tout. Longues manches légèrement tirées pour dévoiler son tatouage, pantalon trop large pour sa taille et des chaussures âgées. A peine de quoi faire une première impression, et jamais la meilleure. Comment croire que la personne qui se présente était un Scientifique aux multiples Doctorats ?

Quelqu’un se présenta devant lui, le faisant même sursauter tant il s’était plongé dans ses pensées. « Oui ? » Ce n’était pas le Directeur. Puisque c’était une femme qui se présentait. Visage affligé. Mauvaise nouvelle sans doute. Juste à la regarder, il pouvait deviner qu’elle avait les mains moites de se présenter. Elle baisse légèrement la tête et sa voix, étouffée par sa gorge pliée, se fait finement entendre. « Docteur McIntosh ? » Il hoche de la tête tout en répondant. « Moi-même. », qu’elle reprenait déjà. « Malheureusement, nous ne saurons pas recevoir aujourd’hui votre application. Des imprévus du calendrier nous empêchent d’étudier correctement votre demande. » Puis elle part. Sans même une excuse supplémentaire, le plantant même dans son siège. Un soupir. En plus qu’il avait attaché ses cheveux et avait taillé correctement sa barbe.

Pas de bol. Manque de chance. Ou peut-être n’aimaient-ils pas son style trop décontracté.

Détachant sa longue chevelure, le Scientifique reprenait son dossier, posé sur l’autre chaise, et se levait. Il n’avait plus rien à faire ici pour aujourd’hui. Autant dire qu’il pouvait commencer sereinement sa journée dorénavant en allant à sa première fonction, celle de Biologiste pour la Nouvelle Avalon. Pourtant, au détour d’un couloir du Centre éducatif, encore dans ses pensées et ses recherches qui l’attendaient, il ne fit pas attention aux pieds qui traînaient aux alentours d’un banc qui n’était pas dans ses souvenirs.

Couché au sol, de tout son long, c’était définitivement sa journée. « Excusez-moi ! C’est bien de ma faute ! », disait-il déjà à son nouvel interlocuteur. Ramassant ses lunettes de travail, il se tournait finalement vers l’autre et tendant son bras pour s’excuser d’une poigne ferme, il continuait encore. « J’étais plongé dans mes pensées et je n’avais plus souvenir qu’un banc était présent après ce croisement ! » Et posant finalement son regard sur la personne face à lui. « Toutes mes excuses pour le dérangement ! »

Il n’y avait pas vraiment un quelconque malaise dans le comportement de David. Il ne l’était jamais vraiment, en vérité. Pour autant, régulièrement maladroit, il n’était pas rare que son esprit l’emporte ailleurs, n’observant pas son environnement. Butant finalement, il avait atterri, ventre le premier, sur le sol même de l’établissement scolaire. Comme si la journée ne pouvait pas plus mal commencer, finalement, pour le Scientifique. Après l’échec de son entrevue, il observait le mélange de ses feuilles. Une véritable torture. Cela prendrait plusieurs minutes dorénavant pour classer à nouveau celles-ci. L’autre l’avait quand même aidé. Bien mince, le Biologiste s’était finalement relevé et observant son interlocuteur, il le trouvait bien jeune.

_ Ah ! » Il passe brièvement une main dans sa chevelure, s’excusant malgré pour la rencontre fortuite. « Je crois quand même que de nous deux, c’est à moi de m’excuser ! J’ai pas vraiment été attentif ! Donc, je prends la faute sur mon compte. Surtout que c’est moi qui te dérange, plutôt que l’inverse. » Il rigolait quand même. « Et non, pas de mal ! Plus une surprise, en vérité. » Finalement, se retournant pour ramasser les quelques feuilles volantes qui traînaient, et sans les trier devant l’interlocuteur, il reprit la parole. « On est quand même bien d’accord qu’à mon arrivée matinale, le banc n’était pas là, alors ? »

Une fois toutes ses affaires en main, les feuilles légèrement pliées sous son propre poids alors qu’il les avait écrasées, il reprenait encore à l’adresse de l’autre. « Et pas de mal aux pieds alors ? Vu que j’ai pris les vôtres dans les miens. » Il souriait, riait tranquillement. C’était de sa faute, autant se faire pardonner en étant égal-lui. Calme et reposé. Aussi, curieux de la surprise de cette rencontre, il comptait encore reprendre.

_ Pourquoi vous l’avez installé ici ? Le coin est spécial ? » Difficile de comprendre exactement pourquoi l’homme qu’il avait face à lui se trouvait là, alors qu’il ne l’était pas lors de son premier passage. Curiosité passagère. Est-ce que l’endroit portait déjà une quelconque signification pour certains que le Biologiste ne connaissait et ne comprenait pas ?

Le jeune homme lui semblait comme banal. D’une certaine façon, par son air calme, il rappelait David une version moins âgée de ce qu’il était. De ce qu’il avait été, aussi, à une certaine époque. Alors qu’il passait une partie de son temps en tant que laborantin, l’autre consacrée à ses études. Parfois, il prenait quelques pauses pour la retrouver, elle. Cette femme qu’il avait aimée. Qu’il aimait encore malgré le temps qui avait passé. Alors qu’il se posait finalement sur le banc, tranquillement, il posait ses deux coudes sur ses genoux. Les feuilles coincées sous sa cuisse, il s’attardait finalement dans cette curieuse et si simple méditation.

_ Il est .. Toujours curieux d’observer un peu le monde qui nous entoure à s’installant. Parfois, » laissait-il entendre, « on voit les choses finalement si différentes que dans le mouvement frénétique de nos courses. » Il riait. Seul. Il pensait tout haut, oubliant brièvement son jeune interlocuteur.

Se tournant finalement vers ce dernier, il posait même son regard sur les différents croquis, quelques dessins de cette vie courante, quotidienne et si banale. David appréciait le crayon du garçon, encore jeune, brute aussi. Alors, il souriait devant cette classe dessinée. Il pensait lui-même à la nostalgie de ses propres années. Malgré les années lumières qui séparaient son temps et ce dessin, tout lui semblait pourtant si semblable. La Terre lui paraissait finalement si proche.

_ Tu comptes en faire ton métier ou c’est davantage un hobby, comme une passion ? », posait-il finalement comme question, à l’étrange interlocuteur qu’il avait à côté de lui. Il lui souriait, rendant les croquis prêtés. « En tout cas, très belle inspiration. Le quotidien et sa banalité. Parfois on ne réalise pas vraiment ce monde qui nous entoure. » Il le regardait un peu plus. « Tes dessins pourraient montrer aux générations futures notre vie à nous, sans qu’ils s’imaginent monts et merveilles. Tes dessins sont une preuve de notre réalité. »

Puis il s’était tu, scrutant finalement cette salle de classe, curieux, aussi, de connaître la matière enseignée. Durant un instant, son cœur s’était pincé au souvenir de l’entretien manqué. Peut-être pourrait-il un jour entrer dans une de ces salles, enseigner sa matière ? Prenant une longue inspiration, plongé dans ses pensées, le Scientifique se demandait si l’occasion était véritablement manquée.

_ T’as des projets pour l’avenir ou tu te laisses encore le temps ? »

Le Scientifique souriait, hochant même de la tête alors qu’il écoutait le garçon parler de son projet. De cet avenir dans lequel il se projetait. Il en avait sacrément dans la tête. Il s’avait se projeter, c’était le moins qu’il pouvait en dire. Entre les premiers croquis et ce qu’il comptait faire de son futur, le Biologiste n’était guère inquiet pour l’étudiant.

Les deux coudes posés sur ses genoux, il continuait d’être soucieux. Il était sacrément curieux comment un tel garçon avait atterri sur ce projet pharaonique. Peut-être était-il secrètement une véritable aubaine pour les générations futures ? Il avait cet espoir pour ce garçon. Que l’avenir lui soit bienveillant. Tapotant légèrement l’épaule de l’autre, il continuait d’observer cette classe entièrement banale. Parfois, deux enfants parlaient entre eux. On entendait aussi le professeur hausser le temps ou encore les élèves qui riaient d’une mauvaise blague. Un instant, il oubliait où il était. Un instant, il était encore sur Terre.

_ Un bien joli projet. Pouvoir dessiner ce que nous allons voir et découvrir. Pour les générations à venir, ton don et ton projet seront vraiment des aubaines. » Il souriait, alors qu’il hochait encore de la tête. « Ils pourront alors voir ce que nous avons vu et ils comprendront peut-être ce que nous avons alors vécu, bien des années avant eux. » Puis il s’était tu, brièvement, pour finalement répondre à la véritable question.

_ Je suis David. McIntosh. Mais tout le monde m’appelle Dave, en vérité, que j’en oublie même parfois que je m’appelle David. Il n’y avait que mon ex-femme pour me rappeler comment je m’appelais réellement, et le plus souvent pour me tirer les oreilles car j’avais fait une bêtise. » Il riait au souvenir d’entendre Rachel l’appeler. David Randall McIntosh. Il n’y avait qu’avec elle qu’il aimait autant ses deux prénoms. Il souriait. Pour lui-même.

_ Je suis Scientifique. Biologiste très exactement. Je suis plutôt spécialisé dans l’étude de la micro-faune, avec une préférence pour les Amphibiens. J’ai beaucoup étudié la flore, aussi, tout ce qui est étude des plantes en tout genre. J’ai toujours été fasciné par l’existence des plus petites créatures face à la majesté des plus grandes. » Il se rappelait encore sa propre thèse, celle qui étudiait en profondeur la relation unique entre la flore et la micro-faune et la coexistence au sein d’un environnement. Les deux étaient intrasinquèment liés selon son idée et il comptait bien le prouver en ces lieux nouveaux et uniques.

_ J’étais venu déposer ma candidature pour la position de Professeur en Biologie, en fait. Mais cela ne s’est pas exactement bien passé, vu que j’ai été directement repoussé avant d’entrer dans le bureau du Directeur. » Il en riait. Encore un peu amer de cette situation.