L'ossature du véhicule grince alors que je descends de la plateforme, une caisse de ravitaillement sur chaque épaule. Je n'ai jamais su ce que représente ce symbole médical imprimé sur le couvercle. C'est un serpent, je crois, mais pourquoi? Il doit y avoir une légende derrière ce logo, mais ça ne faisait pas faire partie du programme de l'académie. Qu'importe, j'ai appris à l'apprécier à ma façon : quand je le croise, ça veut généralement dire que Noushka n'est pas loin. Il faudra que je lui pose la question, c'est elle la plus futée de nous.

La voila justement, le visage dissimulé derrière son calepin, occupée à valider la cargaison à mesure que la je décharge. Ses grands yeux en amandes réhaussés par ses fines lunettes sont une distraction agréable, elle est certainement ce qu'il y a de plus doux dans ce paysage poussiéreux et ravagé par le conflit. Je suis tentée d'appuyer entre ses côtes pour la surprendre, mais elle paraît si concentrée que ce serait un crime. Je me tiens donc tranquille et vais déposer mes caisses avec les autres. Jouer les mules sous ce soleil de plomb est éprouvant, mais son sourire est une récompense plus que satisfaisante.

- Ca pèse son poids pour du simple matériel médical, lui lance-je en m'épongeant le front.

Je me surprends à galber les pectoraux lorsqu'elle lève son regard sur moi. C'est un coup bas, mais je n'ai pas pu m'en empêcher, et j'adore la voir rosir d'embarras. Il faut bien que quelqu'un s'occupe de former la prochaine génération queer, et c'est une responsabilité que je porte avec fierté. On en discute rarement, mais je sais qu'elle finira par rendre quelqu'un heureux. J'espère juste qu'elle ne m'oubliera le jour où cela arrivera.

Le camion grince de la même façon à la remontée. C'est un miracle que ce tas de ferraille roule encore, le budget dédié à l'humanitaire est vraiment déplorable. Encore quelques années et les médecins passeront au volontariat ! Ce système ne mérite pas une pépite comme Anoushka... mais je sais qu'elle tient à être ici. Brave fille.

Je soulève une autre caisse avec ce stupide serpent. Je m'apprête à saisir la suivante, mais je m'interrompt. Quelque chose ne colle pas. Les sourcils froncés, je me penche pour l'inspecter de plus près. Celle-ci n'a pas de logo... et à bien y regarder, elle est un peu différente, comme si elle provenait d'un autre chargement. Une erreur, peut-être? Je délaisse la première pour déverrouiller celle-ci, levant le couvercle juste assez pour y jeter un oeil, avec l'espoir profond d'y trouver quelques unes de ces nouvelles bottes de combat longtemps promises à notre division.

... Oh.

- Anoushka, éloignes-toi...! parviens-je à hurler en lâchant le couvercle.

Pas le temps de me soucier du matériel, j'enjambe les quelques mètres qui me séparent de l'extérieur, apercevant le regard surpris de ma partenaire.

- An-...!

Une détonation intense fait vriller mes tympans. Je me sens soulevée par un souffle brûlant, et l'espace d'instant, tout devient noir. Lorsque je reprends conscience, je réalise que je me suis écrasée au milieu de la précieuse cargaison, renversant les piles si soigneusement dressées. Il n'y a rien de plus lâche et cruel que de piéger un véhicule médical. Un réflexe de toux me secoue les épaules, j'ai un goût de poussière et de métal dans le bouche, mes oreilles sifflent... Mais plus inquiétant encore, je ne vois Noushka nulle part.

J'essaye de me redresser sur mes coudes et étrangement, c'est comme si c'était l'exercice le plus difficile de ma vie. A mi-chemin, une vive douleur s'empare de ma hanche et irradie jusqu'au sommet de ma colonne vertébrale, m'arrachant un hurlement dont j'ignorais être capable. Mon dos heurte à nouveau la terre sableuse. Blyat ! Je n'ai jamais eu aussi mal...!

Le visage paniqué de ma secouriste préférée apparaît dans mon champ de vision, à moins que je ne l'hallucine? Ma vue est trouble, je ne suis sûre de rien... Elle me dit de ne pas bouger, avec ce ton autoritaire qu'elle n'emploie que pendant ses opérations les plus sévères. C'est assez séduisant lorsque j'y pense... Malgré tout, je peux percevoir ce tremblement dans sa voix, et je vois du sang couler de son cuir chevelu. Oh, Noushka, faut-il toujours que tu fasses passer les autres avant toi-même...?

Les minutes passent, la douleur est intenable. Je me sens partir lentement, prise d'un froid qui sous ce grand soleil ne peut être bon signe. Je l'admets, j'ai un peu peur... mais je me sais entre de bonnes mains.

Validation de créateur tu peux passer à la fiche.

Si tu as des questions n'hésite pas.