Un bruit me sort du sommeil. La sonnerie de mon réveil. Je tâtonne jusqu'à l'éteindre, sans ouvrir les yeux. Un mal de tête sourd me taraude le crâne. Une douleur que j'identifie : celle d'une soirée trop arrosée. Je ne suis pas si habituée qu'on pourrait le croire, mais ça fait partie des choses qu'on reconnaît facilement.

Première question : où je suis. Pour ça, il faut ouvrir les yeux, ce que je fais avec répugnance. La pénombre ambiante est moins agressive que je le craignais, mais ça reste douloureux. Au moins, j'identifie le décors : je suis chez moi, dans ma chambre. Seconde question : seule ? Un coup d’œil vers l'oreiller près de moi : il est vide, et toujours bien gonflé. Donc, à priori, j'ai dormi seule. Bien. Situation présente identifiée.

Maintenant, trouver les causes et circonstances. Ce que j'ai fait hier, et avec qui. Malgré la migraine, je me creuse la tête, à la recherche de brides de souvenirs. J'ai emmené Rich boire un coup. Njáll ? Chez son père, justement. Jonas est venu le chercher après un cours auquel j'ai participé aussi, et comme je ne voulais pas passer la soirée seule chez moi, j'ai proposé au gamin d'aller boire un coup. On a pas mal bu, mais après... Trou noir. Merde.

Au fur et à mesure que je me réveille, j'ai d'autres sensations qui me revienne. Notamment un genre d'irritation de la peau, sur le haut du corps. Mais qu'est-ce qu'on a pu faire hier ? Je passe à la salle de bain, et m'examine dans le miroir. J'ai des genres de plaques rouges sur le buste et les bras, comme une allergie, plus gênantes que douloureuses. Encore une fois, qu'est-ce qu'on a fichu ? Et là, la flippe ! Merde ! Merde merde merde !

EST-CE QU'ON A COUCHÉ ENSEMBLE ???

Je me sens blêmir à cette idée. C'est qu'un gosse, je n'ai pas fait ça quand même ? Sans aucune élégance, je porte la main à mon entrejambe. Pas d'irritation, pas de gonflement. Je soupire de soulagement. Si on a couché ensemble, je n'en ai pas la moindre marque, ni le moindre souvenir. Ce qui ne veut pas dire qu'on n'a rien fait. J'attrape mon portable, il aura peut-être plus de souvenirs que moi.

Comment je pourrais le regarder en face la prochaine fois ?

Je repose mon portable, pas tellement plus avancée. Je ne sais toujours pas d'où viennent ces plaques, et je ne sais toujours pas si j'ai fait une connerie ou pas. Par connerie, j'entends surtout coucher avec Rich, mais ça peut être plein d'autres choses aussi. Heureusement, je sais que je ne suis pas du genre à danser sur les tables ou à me déshabiller en public, Jonas ne me laisserait pas l'ignorer. Bon... Je hausse les épaules et passe sous la douche, en évitant l'eau trop chaude.



Plusieurs jours plus tard.

Je rentre chez moi directement depuis le Trou, bien plus tôt que prévu. Et complètement perdue. Qu'est-ce que c'était que ce truc ?!?

Je me plante devant mon miroir, et je m'examine. Rien de visible, pas la moindre marque, et pourtant je n'ai pas rêvé. Dans mon état de stress, il me faut plusieurs essais pour faire apparaître juste une partie de mon armure, mais j'arrive à utiliser le projecteur de lumière. Rien à la lumière normale, mais quand je passe à l'ultraviolet... Il est bien là. Un immense cobra s'enroule autour de mon buste, et déploie sa collerette sur mon torse, menaçant et fascinant. Comme si je n'étais pas déjà assez atypique. Au moins, on me remarquera pour autre chose que mes cicatrices, au Trou et sous les lumières UV. Ça risque de faire bizarre à certains...

Mais je ne suis pas vraiment partie sur l'humour là, plutôt sur l'interrogation. En fait, quand je vois mon reflet, j'ai l'impression que mon cerveau est complètement vide, un grand blanc où s'inscrit un gigantesque point d'interrogation. D'où il vient ce serpent ? On dirait un tatouage, mais je ne me suis jamais... Minute... Les plaques. L'allergie. Je me jette sur mon portable !

Je suis les conseils avisés de Svana concernant la gueule de bois et trouve même un peu de temps pour une sieste dans la journée, au grand désarroi de mon père. Ma mère semble comprendre et connaître les astuces de la guerrière mais je préfère ne pas savoir comment ni pourquoi.

                                                                                     

Le message sonne alors que je tente de finir l'exercice de cartographie qu'on m'a donné à faire. Tout à mon activité, je regarde machinalement l'écran de mon téléphone et sursaute en voyant un message tout en majuscule, suivi de près par un autre écrit normalement. Je regarde mon écran perplexe en les lisant, essayant de comprendre de quoi parle Svana exactement. Un tatouage ? Comment est ce possible ? Et surtout comment aurais je pu le faire sans m'en souvenir et sans qu'elle ne le voit jusqu'à maintenant ? Le seul trou noir que j'ai date de cette fameuse soirée il y a quelques jours. Je réponds à ses messages en essayant de comprendre comment tout cela est possible mais sans y parvenir. Bizarrement, je n'ai plus du tout la tête à ma carte mais plutôt à un mystère temporel.

Bon, je sais d'où vient le serpent. Sacré bestiau, quand même ! Il enveloppe mes épaules, mes bras et une partie de mon dos. Et il couvre en partie mes seins. Je suis quand même bien contente qu'il ne se voit pas sans UV, ça serait assez compliqué à porter au quotidien. Surtout que quelques traits écailleux se glissent aussi entre mes cicatrices, sur mon visage. Il faut le reconnaître, il a un sacré talent le gamin. Je suis sacrément soulagée qu'on ait pas couché ensemble. Et encore plus maintenant que je sais qu'il est puceau. Il mérite quand même mieux, pour sa première fois, que de faire ça complétement bourré avec une femme qui a plus de dix ans de plus que lui. Surtout si elle a ma tronche sans qu'il soit amoureux.

J'éteins le projecteur et je range mon armure, avant de me rhabiller. Ça va être comique d'expliquer ça à Jonas la prochaine fois qu'on se croisera au bar tiens. Et j'espère n'avoir pas à l'expliquer à mon supérieur... Il n'a pas fini de me vanner avec ça sinon.

Hors de question de retourner au bar ce soir... Je passe sous la douche avant d'aller me coucher. Je vais faire gaffe à ma consommation d'alcool moi...